Quelle magnifique soirée, qui comme chaque jour commençait avec une magnifique caisse remplie des doux billets accumulés de la journée. Je les approchais de mon visage, les reniflais tel un drogué, les comptait encore et encore, songeant à ce que je pourrais m'acheter une fois cette jolie somme répartie entre les membres. Je passe avec minutie le moindre de ces petits tiquets vers le paradis sous un rayon bleu, même si je sais que les croupiers ont déjà tout vérifié. Un sourire barra mon visage alors que le soupire de mon cher James résonne dans la pièce. Il aimerait les toucher lui aussi, avoir sa part tout de suite, pour pouvoir aller tout dilapider Dieu seul sait où, mais j'aimais tellement le faire languir, voir son regard s'assombrir et fur et à mesure des heures que je passais ainsi, assit, a agiter ce qu'il aimait tellement sous ses yeux.

La lumière des écrans de contrôle lui donnait un air plus sombre encore, et je ne pu m'empêcher d'éclater de rire alors que je lui lançais avec négligence un petite paquet bien tassé. Je lisais dans ses yeux qu'il considérait que ce n'était pas assez pour la torture que je venais de lui faire subir, mais si il avait bien comprit une chose c'était qu'il n'avait pas encore la force de me défier, et ce même malgré mes maigres capacités de combat. Je passais près de mes employés, de mes membres, pour m'assurer que tout se passait bien. Les tricheurs n'étaient pas rares, ils aimaient se croire plus malins que nous, mais ils n'avaient pas ce que nous avions. Je passais tendrement ma main sur le bas de mon dos, caressant le tatouage qui était le nôtre.

Cela faisait tellement longtemps que je menais ce genre de vie, plongé dans la misère, créant la misère même. Laissant Psylder se faire engloutir par une ombre vorace à l'appétit insatiable. Je posais ma main sur la tête d'un des nouveaux, lui adressant un sourire doux, dont la tendresse était détruite par mon regard froid. Il n'avait pas peur, il n'avait pas encore vu de quoi j'étais capable, en réalité tout été relativement calme en ce moment. Je priais pour que soudainement Samuël entre, qu'il essaye de tout détruire, et qu'il envoie son poing dans mon faciès, comme autrefois.

- Marquis ! Nous avons un soucis à la table cinq.

Ma tête se tourna vivement, et celle de James aurait fait de même si il n'était pas partit, profitant de mon inattention. J'avais l'habitude de ce genre de choses, de toute manière son aide n'était pas indispensable... Je serrais doucement les poings, en posant mon regard sur l'écran de surveillance. Je scrutais les joueurs, impatient de trouver celui qui osait venir me voler chez moi. Je reconnu assez vite les signes du croupier. Il était discret, efficace, une chance que ce soit tombé sur cette table...

Je sortais, comme une furie, de la salle de contrôle et descendait les escaliers bruyamment. Mon pas était vif, malgré la taille ridicule de mes jambes, et du reste de mon corps d'ailleurs. J'allais m'assoir, le visage calme, à la dite table cinq. Je fis un léger sourire au voleur, tendre, chaleureux, amical. Mon visage d'enfant ferait le reste.

- On m'a dit que nous avions un bon gagneur, je me disais que c'était mon devoir de venir le saluer. Les bons joueurs de black jack sont tellement rares.

Un nouveau sourire, associé à une voix exagérément infantile. Je l'aurais, je ne le laisserais pas s'échapper, pas tant que mon argent serait entre ses mains. J'approchais un peu mon visage du sien, sous le regard attentif des habitués et surtout des membres de Lilith. Ils attendaient, tous, prêts à lui sauter à la gorge dès qu'il oserait bouger. Je soufflais doucement, dans un murmure à peine audible :

- Et si tu me montrais la manière avec laquelle tu vole mon argent, tricheur?

Un long moment de silence, voilà ce qu'il y avait dans mon crâne. Je l'observais, les yeux plissés, comme si cela aurait pu m'aider à comprendre quoi que ce soit. Je fronçais les sourcils doucement, ce qui me donnait une bouille d'enfant boudeur, même si mes camarades savaient ce que cela signifiait vraiment. J'avais envie de lui envoyer mon poing dans la figure, vraiment, mais j'avais une image à défendre. J'aurais tant aimé disparaître, pour mieux l'attaquer dans le dos... Trop de choses que je m'interdisais moi-même pour des raisons futiles mais sensées.

Je me relevais avec lenteur, poussant de mes jambes mon siège vers l'arrières. Je n'aimais pas me battre, mais étrangement sa langue me donnait envie de le faire. Je jetais un regard au croupier, qui comprit sans avoir besoin de plus d'explications. Un sourire sadique étira mes lèvres et mon regard reprit la froideur qui était sienne durant la nuit. On ne jouait pas avec Lilith, il allait l'apprendre, et sans doute n'aurait-il jamais l'occasion d'apprendre de ses erreurs. Ce soir, le sang d'un quelconque étranger venu d'un pays inconnu allait se répandre dans les ruelles de Psylder. Du moins c'était le seul destin que mon esprit lui réservait.

- Ce n'est pas que parler avec une personne dont je ne comprends qu'à moitié la langue me dérange mais...

Mon cher croupier sortit une arme de sous la table de jeu, la pointant directement vers le visage du voleur.

- Aah, je suis désolé pour toi... Tu es sans doute nouveau ici pour avoir fait ce genre d'erreur, n'est-ce-pas? Ne t'en fais pas, nous ne sommes pas comme Lihal, ce sera rapide et peu douloureux.

Je le pointais de mon indexe, un sourire faussement amical figé sur mes lèvres.

- Toi...

Je ramenais ma main, glissant mon pouce sous ma gorge doucement.

- Va mourir.

Le coup de feu retentit, mais il ne venait pas du croupier. Ce serait bien trop simple, trop vulgaire. Les clients se réfugièrent sous les tables, guidés par une habitude certaine. Ils savaient qu'ici les choses étaient réglées de cette manière et acceptaient le risque de se prendre une balle perdue en plein crâne en posant les pieds ici. Un des gardes du corps, posté à quelques mètres sur la droite de l'inconnu, le fusil fumant encore, esquissa un sourire satisfait, sans doute dans l'espoir ridicule d'obtenir une promotion par ce geste. Je me préparais déjà à leur dire de bouger le corps, avant de constater que dans la cohue générale causée par les clients craintifs, le voleur avait tout simplement... Disparu? Je tournais la tête, les yeux rougis pas la colère, alors que son ombre franchissait la porte, tirée par une silhouette tout aussi inconnue. Une nouvelle bande organisée?

- Je m'en occupe...

Depuis le début, assit dans des sièges trop luxueux pour lui, Lee attendait. Il avait comprit ce qui allait se passer, il l'attendait depuis plusieurs maintenant. Oui, il attendait dans ce lieux qu'il n'aimait pas particulièrement, trop bruyant, avec trop d'êtres vivants, que l'occasion se présente, qu'il puisse tenter de confirmer ce qu'il avait cru voir, ce que les rumeurs disaient. Il risquait sans doute de perdre la vie dans cette histoire, mais sa curiosité était plus forte que tout, ainsi que l'argent qu'une telle information pourrait lui rapporter. C'était la déchéance en ce moment au niveau des fonds, il se contentais de demi bols de nouilles instantanées de sous marques depuis des semaines, et son estomac réclamait de la nourriture, de la vraie.

Lorsque le chef des lieux arriva, il eut du mal à masquer son sourire en coin. Il se redressa avec lenteur, faisant mine de se diriger vers un lieux plus sur. Quand le croupier sortit son arme, il saisit la situation en un instant, l'ayant déjà vue une fois. Le garde du corps arriva de l'autre coté, comme il l'avait pensé, et lorsque le doigt de celui-ci pressa la détente, provoquant un mouvement de foule, il se jeta sur ce qui semblait être un Russe, le plaquant au sol avant de lui faire signe de le suivre. Ils se mirent à courir vers la sortie, laissant la colère monter en Adriel. Tout les éléments étaient réunis.

Il emmena l'étranger dans une ruelle sombre, a peine éclairée, un lieu dans lequel il ne doutait pas que le chef de gang, le 'marquis', aurait vite fait de les trouver. Il se servirait de lui comme bouclier s'il le fallait. Il jeta un coup d'oeil autour de lui, il ne pouvait pas prévoir de quel coté le danger allait arriver, il saisit donc le Russe par les épaules, près à le mettre entre lui et une balle a tout moment.

- Vy s uma soshli ?

Son accent n'était pas terrible, teinté de ces prononciations chinoises a la consonance étrange et reconnaissable entre toutes. Il fit mine d'être inquiet, il jouait d'ailleurs très bien la comédie. Des années d'entraînement sur le terrain. Il secoua légèrement son appât, la sueur perlant sur son front aux couleurs jaunâtres, trahissant ses origines tout autant que ses yeux bridés et ses cheveux noirs jais.

- Vy khotʹ ponimayete, chto vy tolʹko chto sdelali?

Le chinois ne pu se retenir de hausser les sourcils. Il lâcha le Russe, qui semblait connaître au moins autant de langues que lui. Il poussa un long soupire, levant les yeux au ciel. Sur quel genre d'appât était-il donc tombé? Il sentait soudainement que tout cela allait rendre les choses plus complexes. Il laissa ses mains se glisser dans ses poches, profondément sceptique. Il l'écouta parler en Danois, laissant échapper un soupire supplémentaire. Il s'appuya contre un mur, les yeux clos, l'oreille tendue pour entendre l'arrivée du marquis qui devait déjà être à sa poursuite.

- Một khách du lịch ...
* Un simple touriste...

Il ouvrit les yeux, son coeur battait fort dans sa poitrine, si bien qu'il était incapable de prêter une oreille réellement attentive à ce qu'il se passait autour d'eux. Ses yeux balayaient la rue, le ciel, la moindre parcelle d'ombre avec une sorte d'angoisse. Peut-être que rien de ce qu'il n'espérait n'arriverait, mais si ses doutes étaient fondés... Alors une seule et unique chose était sure : ils étaient dans une merde profonde.

- Ano ang tingin mo umaatake ang makwis?
* Qu'est-ce que tu croyais faire en t'attaquant au marquis?

Ils n'étaient pas dans une situation avantageuse, c'était sur. La main de Lee serra doucement la lame cachée dans sa poche, la respiration irrégulière. Il aurait du avoir peur, oui, c'était ce genre de sentiments que l'on avait dans ce genre de situations, mais c'était bien différent de cela. Il était excité. Il voulait voir ces choses dont les rumeurs parlaient tant, il voulait apercevoir cette anomalie, cette chose théoriquement impossible. Il avait vu tant de ce monde qu'il en avait été lassé, et là, il avait l'occasion d'enfin voir quelque chose d'extraordinaire... De différent.

- Ef sögusagnir reynast réttar ... Við gerðum kannski meira en nokkrar sekúndur til að búa ...
*Si les rumeurs s'avèrent correctes... Nous n'avons peut-être plus que quelques secondes à vivre...

Il avait murmuré cette phrase pour lui-même, avec une forme de jubilation dans la voix assez malsaine. L'idée d'enfin être en danger faisait monter en lui l’adrénaline, il se sentait vivre, chose qui s'était faite rare depuis bien longtemps.

Il ne connaissait pas le marquis, il ne savait rien de lui, et il espérait faire croire à Lee qu'il avait tenté se renseigner sur lui? Quelle blague... Plus le chinois pensait à la situation dans laquelle ils étaient tous deux, plus il ressentit une irrépressible envie de rire. Je se courba doucement, sans que sa main lâche son arme, avant de se redresser et d'éclater de rire. Un rire nerveux, et à la fois enthousiaste. Il voulait le voir, voir ces choses dont tout le monde en ville semblait parler. Soudain un bruit attira son attention. Il tourna la tête, sortant l'arme de sa poche, ouvrant la larme rapidement. Ses yeux balayèrent une fois de plus la zone, quand son regard croisa celui d'un félin. Un félin oui... Mais pas un petit. Pas un chat d'appartement, non, une créature qui n'avait rien à faire ici. Un ocelot.

Un sourire satisfait étira ses lèvres, il sentait que la réalité allait se dévoiler sous ses yeux, que les rumeurs allaient se confirmer. Son sang bouillonnait dans ses veines, il avait l'impression de pouvoir brûler d'un instant à l'autre. Sa respiration se fit d'autant plus saccadée, entrecoupée, difficile.

- Alors ils av...

Il sursauta, l'animal venait de disparaître, subitement. Il posa le regard sur le Russe, comme pour lui demander si il l'avait vu, lui aussi. Un nouveau bruit, à l'opposé, derrière eux. Il se tourna vivement, posant ses yeux sur la silhouette du marquis. Il ne savait pas si il devait rire de joie, ou pleurer de peur devant une telle possibilité. Un monstre... Ce type était donc bien un monstre. Il se mit en garde, sachant pertinemment que ce serait inutile.

- Horfa út!
* Fait gaffe!

Le rire du marquis retentit dans la rue, un rire mêlant l'enfantin et le sadique, pour donner un effet qui glaçait le sang.

Je refusais de laisser l'honneur à quelqu'un d'autre de faire cette chasse. Ceux deux là, ils m'appartenaient. Je voulais savoir qui ils étaient, et surtout je voulais les voir mort et récupérer ce que ce type avait osé me prendre. S'il y avait bien une chose, une seule et unique chose qui me mettait hors de moi, c'était que l'on me prenne mon argent. Dans ces cas là, je devenais une personne différente, digne de ce gang de brutes qu'était Lihal. Je parcourais les toits, sans courir, sans même marcher, sans avoir à faire le moindre effort, et j'attendais discrètement à leurs cotés pour tenter de saisir quelque chose à leur conversation...

Tu parle... Ils parlaient quelle langue exactement? J'avais l'impression de reconnaître quelques trucs, il y avait eut de l'anglais, notamment, et puis toute une ribambelle de mots incompréhensibles. Ils étaient dont bien ensembles... Je ne voyais pas d'autre possibilité, ça devait être une sorte de code. Intelligent de leur part, mais ils ne pouvaient rien faire contre quelqu'un comme moi. Je posais une nouvelles fois ma main sur le creux du bas de mon dos, un sourire étirant mes lèvres. J'en avais marre de les voir baragouiner, j'allais intervenir.

Je descendais, sous cette autre forme que j'aimais tellement, puis une fois qu'ils m'avaient repérés, je redevins celui que j'étais réellement, posé sur mes deux jambes, à quelques mètres d'eux. Mon regard brûlait de colère, et un rire des plus lugubres passa la barrière de mes lèvres. Ils allaient comprendre ce que cela coûtait d'ainsi oser s'attaquer à Lilith, a mon argent, a moi. Le vent s'engouffrais dans la rue, je profitais de cette sensation. J'étais le prédateur, et ils n'étaient que des proies impuissantes, qui ne pourraient rien faire. Ils ne pouvaient pas être comme nous, Samuël n'aurait jamais envoyé quelqu'un d'autre me provoquer, il aurait eut trop de plaisir à le faire lui-même. Quant à la police... Anya était le genre de personne a aimer faire les choses elle-même également. Ils ne pouvaient donc pas gagner, car ils n'étaient que de pauvres humains.

J'eus un léger grognement lorsque je sentais l'air se charger d'humidité. Pas ça... Je devais me dépêcher, sinon j'allais devoir fuir... A cause de cette eau, cette maudite eau. Dire que je l'avais tant aimée... J'avançais vers eux, doucement, calmement, attendant que le chinois bouge. Vu qu'il ne semblait pas motivé, je me laissais glisser vers l'ombre d'un tas de caisses à moitiés défoncées, pour apparaître ensuite dans le dos du chinois, posant la lame de mon opinel sous sa gorge.

- Je ne pensais pas qu'il existait en ville des personnes assez stupides pour me provoquer...

Je disparu à nouveau, pour apparaître au milieu des deux. Je voulais qu'ils attaquent, je voulais qu'ils aient peur, je voulais lire dans leurs yeux la compréhension... Oui, ils allaient comprendre a quel point ce qu'ils avaient fait était une erreur.